Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L’Œil Végétal
26 novembre 2014

#112 Un selam de passeroses

14-11-24, Passerose (4)

Il a suffi de deux journées de vent appliqué. De l’automne doux et lumineux ne restent que quelques très rares feuilles.
Les arbres sont nus. La tiédeur de l’air rend le spectacle incongru. D’ailleurs, au jardin, un des pruniers en a perdu toute retenue. Il a fabriqué des fleurs et une poignée de prunes vertes. Je ne compte pas les roses. Il y a encore des dahlias, des fuchsias, des soucis, des cosmos, des ipomées, des amarantes, et j’en passe. Surtout, je la guette ahurie depuis quelques semaines, une passerose a dressé sa colonne en millefeuille comme aux grands jours d’été, et entamé sans façons le déploiement de ses belles fleurs parme. Une rose trémière à la Sainte-Catherine !

14-11-24, Passerose (1)

Si j’avais su qu’un jour, j’écrirais une page d’herbier sur les roses trémières parce que l’une fleurirait au pas de ma porte à la veille de décembre...
Je ne sais pas vous, mais moi à ces fleurs je trouve un charme fou. Une fraîcheur insolente. Quelle allure ces hampes, ces volants soyeux. Je suis séduite par leur camaïeu. Et cette manière de s’installer sans façon, qui leur donne ce je ne sais quoi de tranquille assurance, comme si elles avaient été là de toute éternité.

J’avoue ne plus très bien me souvenir justement comment elles sont arrivées dans le Jardin sous le Ciel. Il y en avait un peu, me semble-t-il. Mais je ne suis plus très sûre. J’ai du aussi semer quelques graines rapportées de leurs Charentes d’élection – pour se griser de vents marins, elles y font alliance avec les murs .De cela je ne suis pas sûre non plus. Quand et comment sont-elles venues ? Mystère. Toujours est-il que tout un secteur du jardin compte désormais une collection qui porte, hormis le blanc et le jaune, toute la palette de rose et d’incarnat des roses trémières. En début d’été. Car dès juillet, chaleur et sècheresse deviennent telles que la colonie passe au repli. Alors imaginez l’effet produit par l’éclosion automnale d’une passerose parme...

Sur les passeroses il ne se dit sur la Toile pas grand chose. Elles sont bien mystérieuses ces compagnes des vieux murs et des fissures. Pourquoi d’abord les appelle-t-on passeroses ? Passagères délicates. Fragiles passantes. Comme toutes les fleurs. Et cette drôle d’épithète de trémière, ne voilà-t-il pas qu’elle véhicule une précision inexistante si j’en crois cette définition délectable :

(Botanique) Terme dénué de sens qui n'est employé que dans la locution rose trémière.

Ici, , il est dit que trémière est une déformation d’outremer. La passagère serait donc venue en bateau. Mais de quelle échelle végétale est-elle partie ? L’origine des trémières a disparu en mer. Je la repêche à l’aide du nom familier qu’on leur donne en anglais : Hollyhock, de hock, un mot de vieil anglais pour désigner la mauve sa cousine, holy pour la Terre Sainte. Des fleurs d’Orient venues en Occident avec les Croisades. Pas étonnant que leurs origines aient disparu en route. Il a du en voyager de la graine orientale, accrochée à la laine et au drap des croisés, suspendue au pas de leurs chevaux !
Sur la Toile intergalactique, la mauve de Terre Sainte m’a conduit tout droit à la grande ère des fleurs en Occident. Le XIXe siècle. La passerose y trône en fleur de cottage. Elle pousse au jardin d’Emily Dickinson et lui murmure à l’oreille.

14-11-24, Passerose (2)

La recluse d’Amherst est aussi une femme de son temps. Dans son siècle, les fleurs sont messagères, compagnes. La bonne société de l’ère industrielle les habille de vertus. Ou de vices. Les femmes les piquent à leur corsage, les hommes à la boutonnière. Elles fanent sur les nappes empesées des autels, au chevet des malades. Les fleurs ont un langage. La mode en est venue de France. Avec un Langage des fleurs, suivi d’un Nouveau Langage des Fleurs, deux best-sellers traduits en plusieurs langues. J’y trouve ma mauve retour de Croisades rangée à Rose trémière. Juste avant Rose (feuille de) qui signifie Jamais je n’importune, et Rosier au milieu d’une touffe de gazon pour Il y a tout à gagner avec la bonne compagnie, la rose trémière désigne la fécondité.

Et zou ! Tour de tapis volant. Car savez-vous d’où il vient ce langage des fleurs qui fait florès dans les salons parisiens ? D’Orient. Turquie. Perse. D’un jeu des fleurs appelé selam. Qui n’a rien du dictionnaire explique Brent Elliott, bibliothécaire de la Royal Horticultural Society. Avant de la dépêcher outre-Atlantique, l’Europe a dévoyé une forme de mnémotechnique. De la fleur, ou du fruit, le selam ne retient que la rime. En écho, elle renvoie à un mot. Espoir, chagrin, bonheur. Lequel renvoie en écho à son tour au vers d’un poème. Jeu de rimes qui fait jeu de mémoire.

14-11-24, Passerose (3)

Notule

Dans ce petit jeu de miroirs, je fais entrer une femme. Elle s’appelle Hortense et peignait des fleurs. Elle faisait palpiter la lumière et la vie sur de grandes toiles aux couleurs généreuses tandis que la guerre de 14 vomissait l’horreur dans la boue des tranchées. Les passeroses peintes sont de sa main. Toute mon enfance, j’ai côtoyé sans les voir les fleurs d’Hortense dans la maison de Corrèze où elle avait vécu. L’ombre des volets toujours clos, la poussière et le silence les confinaient dans l’oubli. Beaucoup plus tard, les volets ont été ouverts et le soleil est entré à flots. C’est là que j’ai découvert les tableaux d’Hortense. Il y a longtemps que je veux faire entrer ce personnage dans la galerie de L’Œil Végétal. La passerose de la Ste Catherine m’en fournit l’occasion. Et pour les lecteurs de la première heure, il se pourrait même qu’il y ait un lien entre Hortense et la malle d’Henri...

Publicité
Publicité
Commentaires
L’Œil Végétal
  • Carnet d'inspiration, travaux en cours, propos de jardin, fabrique à images, poésie, goût du thé, compagnie des fleurs, carnets de voyages, pensées japonaises, chinoiseries, bouts de papier, pierres étranges, menues choses
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
L’Œil Végétal
Newsletter
Publicité