#114 La grâce du dénuement
Comme la fumée dans le vent, comme les rêves à la fin de la nuit, comme la chaleur au coucher du soleil, tout le pays s’en alla à la dérive. Tout le pays les accompagna, ne laissant qu’une plaine désertique derrière lui, une sinistre région ravagée, une terre désenchantée. Mais dans sa précipitation à obéir au sortilège, le royaume y dissémina quelques vestiges : toutes ces petites ritournelles, ces souvenirs anciens, ces jardins et arbustes d’aubépines du temps passé qui, bien que balayés par le reflux, hésitèrent trop longtemps à quitter l’orient et virent disparaître les pelouses féériques. Et la barrière crépusculaire, en reculant à son tour, les abandonna au beau milieu de cailloux moroses.
Lord Dunsany, La fille du roi des Elfes, Denoël, 2006
Il était prévu de déposer parmi les pages de L’Œil un choix de billets illustrés en ouverture de décembre. Je les avais fourbis, préparés. Ils attendaient, appuyés à l’issue de novembre. Je les veillais, ces précieux butins d’écureuil. Ils brillaient des couleurs de cette arrière-saison de douceur. Les amarantes, les dahlias, les éclats d’eau, les coulées de lumière, les menus, les grands travaux au jardin, au dehors, le carnet de route persan, les notes, les liens, les feuilles réchappées de l’Autan, l’indispensable et l’utile, la couleur, les mots butinés et les mots trouvés, la maille, la béchamel, l’enrobage des heures et des jours, la lisière des souvenirs, l’empreinte des sentiments, tout est parti. Tout est parti sous mes yeux. Dans le naufrage de ces carnets plus si nouveaux qu’on appelle disques durs. Le disque dur de mon ordinateur est mort. En emportant tous mes travaux récents dans son tombeau. C’est une tristesse profonde dans la grâce des jours gris, chargés de froid et d’eau, qui sont mes fenêtres aujourd’hui.