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L’Œil Végétal
2 mai 2015

#133 Les amants des Mascareignes

Commerson

Fin 1768, Philibert Commerson (1727-1773) retrouve à l’île Maurice son vieil ami Pierre Poivre qui en est l’intendant. À ses côtés, Jeanne Baret, 28 ans, que Commerson a embauchée cinq ans plus tôt comme servante, alors qu’il venait de perdre sa femme morte en couches.

 

Est-ce parce qu’ils sont pays tous les deux et qu’ils peuvent s’entretenir dans leur bourguignon natal ? Un lien complice s’établit rapidement entre le savant veuf et la demoiselle. Quand Commerson déménage à Paris, Jeanne le suit. Elle s’occupe de l’intendance, mais s’intéresse aussi aux travaux qui absorbent le naturaliste de longues heures. Peut-être lui raconte-t-il ses passionnants échanges avec Antoine-Laurent de Jussieu du Jardin du roi ? En tout cas, quand Commerson apprend à l’automne 1766 qu’il est désigné par le Roi pour participer en qualité de naturaliste à l’expédition de Louis Antoine de Bougainville (1724-1811), il ne saurait être question de partir sans Jeanne. Décision pour le moins audacieuse quand on sait qu’une ordonnance royale interdit d’embarquer des femmes à bord des bâtiments du Roi. Et qui ressemble bien à l’aveu d’un amour pour celle qu’il décrit, en lui dédiant la Turrea, comme un arbrisseau charmant. Ajoutant : j’en suis affolé, soit à cause de la singularité de ses feuilles, soit qu’il me donne un genre nouveau dont le caractère est unique.

 

Jeanne Baret fait donc la première partie du voyage sous le déguisement masculin du valet de chambre de Commerson. À bord de L’Étoile, elle partage d’abord la cabine de son maître, mais au prix de telles railleries qu’elle s’installe avec les autres domestiques sous le gaillard arrière. La promiscuité et le manque d’eau pour la toilette font des trois mois de voyage jusqu’à Montevideo un supplice pour Jeanne. Sur les côtes américaines, elle peut enfin retrouver Commerson lors de ses sorties d’herboriste. Qu’a pensé Jeanne à Rio de Janeiro devant cet arbuste tout enrubanné de fleurs roses et orange, pareilles à des papiers de soie multicolores, que Commerson a baptisé Bougainvillea spectabilis en l’honneur du capitaine Bougainville ?

 

Dans son Journal, Bougainville, qui n’a certainement jamais été dupe, date le démasquage de Jeanne de l’escale de Tahiti. La Nouvelle Cythère. Watteau n’est pas loin. En bons sauvages, les Maoris ne se laissent pas tromper par l’habit masculin de Jeanne, écrit le capitaine de La Boudeuse. La jeune femme passe aux aveux. Ce sera la version officielle.

 

Commerson (1)

 

En débarquant sur l’île Maurice avec Jeanne, Commerson sait sans doute qu’ils ne rentreront pas en France. La justice royale ne raterait pas les amants. Et il y a tant à faire. L’île est un paradis pour un herboriste de sa trempe. Sans parler des expériences d’acclimatation que son ami Poivre conduit avec les plantes à épices. Il y a tant de nouveautés à découvrir dans les Mascareignes avec Jeanne à ses côtés. Et, là-bas enfin, Madagascar, la Grande Île, véritable terre de promission pour les naturalistes. C’est là que la nature semble s’être retirée comme dans un sanctuaire particulier, pour y travailler sur d’autres modèles que ceux auxquels elle s’est asservie dans d’autres contrées, confie le naturaliste passionné.

Commerson ne reviendra jamais en France. Il meurt de fièvre en 1773, à l’âge de 46 ans. Jeanne veillera personnellement au voyage des cent dix-huit volumes de planches d’herbier de son amant. Jusqu’à leur remise à Bernard de Jussieu au Jardin du roi.

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Commentaires
L
merci , une fois de plus pour ces jolies histoires
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