#138 Par les brèches frêles des fleurs
(Encore ?
Encore des fleurs, encore des pas et des phrases autour de fleurs, et qui plus est, toujours à peu près les mêmes pas, les mêmes phrases ?
Mais je n’y puis rien : parce que celles-ci étaient parmi les plus communes, les plus basses, poussant à ras de terre, leur secret me semblait plus indéchiffrable que les autres, plus précieux, plus nécessaire.
Je recommence, parce que ça a recommencé : l’émerveillement, l’étonnement, la perplexité ; la gratitude, aussi.)
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Et s’il y avait un « intérieur » des fleurs par quoi ce qui nous est le plus intérieur les rejoindrait, les épouserait ?
Elles vous échappent ; ainsi ; elles vous font échapper : ces milliers de clefs des champs.
Pourrait-on en venir à dire que, si l’on voit, dès lors que l’on voit, on voit plus loin, plus loin que le visible (malgré tout) ?
Ainsi, par les brèches frêles des fleurs.
Philippe Jaccottet, Aux liserons des champs
Notule
On reconnaîtra, dans ce bouquet de clefs des champs, et dans l’ordre : les tiges de la knautie (Knautia macedonica) et les ailes du chardon Marie (Silybum marianum) ; la collerette amidonnée de la nigelle de Damas (Nigella damascena) toisant les fleurs de chardon ; et knautie et nigelle sur fond de feuillage de frêne ; les épiaires laineuses (Stachys byzantina) bien en rang ; l’ambre des feuilles de bocconie (Macleaya cordata) ; la brèche des feuilles de chardon Marie ; l’éclat des rosiers de Chine, ‘Emmie Gray’ et ‘Mutabilis’ ; encore « Mutabilis », le mutant psychédélique ; toujours lui, et les jeunes feuilles du bambou doré et traçant Phyllostachis aurea ; la grêle tige d’une nielle des blés échappée d’une touffe de bocconie. Tous sujets du Jardin sous le ciel, cela va sans dire.