#139 Trois bonheurs de mai
Avec un thermostat bloqué en position maxi pendant dix jours XL, le printemps s’est évaporé. Sous mes yeux incrédules, juin a déballé le plein été. Inexplicablement, il a coulé du brûlant ici, du brûlant là, et encore là-bas au fond du jardin. Tendu un grand ciel blanc sur la journée comme un miroir aveuglé. Un déluge de chaleur a saisi le printemps de tous les côtés. Tout ça avec une évidence encombrante, au point que même les orages n’ont pas bronché. Juin placarde une saison inédite et muette. Il fait chaud à tirer les volets, sec à faire craquer herbes, branches, feuillages, vibrant à gommer l’horizon à jamais. Juin s’arrime à hauteur de vergerettes. Des étoiles blanches en lévitation à un mètre. Pour combien de temps ? Ca brasille, ça craque, ça froisse comme du papier, ça fait du bruit d’été. La terre fend, fissure, n’en peut mais. Le ciel est balayé par des vols d’étourneaux effrontés. La nuit est fendue des stridules angoissées des petits ducs. Il leur faut s’envoler. Ils sont affolés. L’horizon est pantelant comme au cœur de juillet. Alors moi, pour ralentir l’aiguille du temps détraqué, je pose dans le tiroir de la commode, bien rangés l’un contre l’autre, trois petits bonheurs de mai :
les pivoines
les asperges;
les cerises.
Au moins les retrouverai-je l’an prochain.
Notule
Au milieu de tout ce désarroi, on identifiera avec certitude dans les images ci-dessus :
les épis de la Stipa et les pilosités de Salvia argentea ;
le crin des Allium scorodoprasum et les siliques de Lunaria ;
l’akène de scorsonère pourpre et celui du chardon Marie ;
la feuille de raifort et les derniers tressaillements du coquelicot ;
les coiffures d’une bande d’Allium scorodoprasum et les préparatifs de voyage du chardon ;
de fortes têtes : chardons Marie et Stachys ;
mon trio du bonheur : pivoines du jardin, asperges du marché, cerises de mon arbre.