#140 L’homme qui porte de l’eau
" Ah ça, on est mal. Il risque d’être long, le mois d’août...
Ca faisait un moment que je me disais : il faudrait quand même arrêter de rester les bras croisés à la regarder passer, la rivière. L’eau de la rivière, elle est pas à la commune, elle est pas à la SAUR, elle est à tout le monde. Et cette eau-là, il y en aura toujours. Ca baisse un peu le soir, quand les agriculteurs arrosent les maïs, mais le lendemain c’est revenu. Ca a toujours été comme ça.
Et qu’est-ce que tu veux, moi je peux pas supporter de voir ce qu’on a planté manquer d’eau. Ca me rend malade quand je vois les jardins crever de soif. Tiens, regarde, les arbres du parking, depuis que je leur apporte de l’eau, c’est le jour et la nuit. Avant, ils restaient moches, ils grandissaient pas. Tandis que l’autre jour, il y en a un, il a pu garer sa voiture à l’ombre. À l’ombre d’un arbre du parking. Chez moi, tu sais, j’ai la haie de peupliers. Tu verrais comme ils sont beaux ! C'est qu'il faut les arroser les arbres ! Avant-hier, je leur ai mis 200 litres.
Bon, tout ce qu’on a fait il y a un mois pour l’irrigation, amener l’eau de la rivière pour remplir le puits, tous les goutte à goutte qu’on avait installés, ça sert plus à rien. La rivière est pas propre. Ca a fini par boucher le goutte à goutte. Mais c’est pas grave, je peux en imaginer d’autres, des méthodes d’irrigation. L’autre jour, quand on était à arroser les arbres du lotissement avec le cantonnier, je regardais les jardins des gens. Ils ont tous mis des cuves pour récupérer l’eau. Évidemment elles sont toutes vides depuis un moment. J’ai envie de leur proposer de leur remplir, leurs cuves. Il y a avait une femme dehors, devant chez elle. J’avais envie de lui dire : tenez, je vais vous la remplir votre cuve. C’est rien. Quand on a fini d’arroser pour la commune le matin avec le cantonnier, je vais chercher de l’eau à la rivière et je leur apporte, aux gens.
J’ai le temps, moi. Je suis agriculteur à la retraite. Et puis, j’ai le vieux tracteur, j’ai que des vieux trucs de toute façon. Avec la tonne et le tuyau de 25 m, je l’apporte où je veux l’eau."
Maurice B., agriculteur à la retraite