#91 Bijoux de saison
J’ai offert au Jardin sous le Ciel deux bijoux. Mon pauvre jardin malmené par les tranchées et les chantiers qui se succèdent. Et accaparent, bien plus que je ne voudrais, mon attention et mon temps.
Par les temps qui courent nous avons grand besoin de réconfort, mon jardin et moi. Justement depuis un mois, la saison des floralies est ouverte. Je ne suis pas seule à aller admirer leurs parures végétales, leurs curiosités. Quel monde ! Que de convoitises ! Que de beautés à adopter ! Mais l’expérience jardinière m’a rendue beaucoup plus circonspecte avec le temps. C’est que j’en ai perdu des plantes. Par méconnaissance surtout. J’ignorais tout de la concurrence féroce qui se livre en souterrain. Le Jardin sous le Ciel est cantonné de frênes et peupliers. Grands buveurs d’eau s’il en est, qui font ramper implacablement leurs racines à tous les étages pour pomper la moindre goutte. Pour certaines variétés, l’invisible guerre de l’eau menée par les racines des arbres est un combat perdu d’avance...
Mais revenons aux deux bijoux qui sont l’objet de ce billet. À mon jardin, j’ai offert deux... ronces. Des RONCES ?! L’Œil Végétal serait-il devenu fada de s’en aller planter ces lianes féroces qui se marcottent et déchirent les mains ? Ces épines qui font des fourrés, barrant les chemins, celant les sentiers des forêts enchantées. Qui font aussi des fruits délicieux, il est vrai, et barbouillent les doigts et la bouche au cœur de l’été. Mais de là à l’installer à sa porte ! Tsst tsst, il ne s’agit pas de cette ronce-ci, du commun coureur de haie Rubus fructicosus. Voyez plutôt, dans l’ordre de leur arrivée au Jardin sous le Ciel :
Rubus calycinoides ‘Betty Ashburner’ (encore à ses débuts modestes de rampante, en compagnie de la potée des Joyaux d’Ophar), dont le feuillage lumineux est le seul piquant ;
et Rubus thibetanus, la ronce tibétaine venue des mêmes contrées que les roses sauvages du billet précédent (avant installation auprès de sa compatriote Neillia thibetica, entrée l’an passé). Dentelle de feuilles sur rameaux d’argent, qui dessinent des ombres blanches à la saison du givre :
Ne sont-elles pas élégantes ces ronces botaniques ?
...
Les ronces, on les brûle
dans les matins d'hiver
quand l'air est creux
de gel et de silence.
Parfois la main s'irrite
d'une mince griffure
où le sang brille
que l'on lèche.
Mais la dent qui nous blesse,
par le feu consumée,
ne laisse au vent
qu'une pincée de cendre.
Jean Joubert, "Les ronces", Etat d’urgence, Partage du soir © Editinter, 2008